S.E.F. (sans élèves fixes)
Voilà, je leur ai dit. Je vous laisse. Vous allez vers d'autres mains. J'aurais voulu tenir la vôtre jusqu'à la fin de l'année. Mais je ne peux pas.
J'ai vidé mon casier, celui sur lequel j'avais dû fixer mon nom avec un post-it. Une place temporaire.
Une grappe d'élèves est restée avec moi à la récré, ne sachant pas comment me quitter.
Dans le couloir, une timide m'a crié, avec sa copine : "Madame, on vous aime !"
Je ne pouvais pas craquer : j'avais mon autre classe deux minutes après. Le petit Tony, dans le questionnaire de Proust, est tombé sur "Votre état d'esprit actuel ?" Il a répondu gravement : "Perturbé", en me regardant. Dans cette seconde, il a été le seul à me renvoyer une question ("Quels sont vos poètes préférés ?"). L'autre classe m'a gentiment bombardée de questions.
Tony m'a remercié pour mes cours, tout penaud, à la fin. Et je lui ai bêtement dit : "Ça m'a fait plaisir".
Je n'ai pas cédé. Ma voix, un peu. Babil, mon bavard rigolo, a vu que mes yeux brillaient. "Vous n'allez pas pleurer, hein, M'dame ?"
Non, je ne vais pas pleurer, Babil.
J'ai attendu d'arriver chez moi.
Edit de 15h20 : j'ai laissé sonner le téléphone. Message pour un nouveau remplacement dans un lycée professionnel. Cela ne fait pas trois heures que je suis partie du lycée général... Laissez-moi respirer !